Moyshe Nadir — Ma première histoire d’amour

Après celui d’Avrom Reyzen, Ma première histoire d’amour (מיַין ערשטער ראָמאַן) est le deuxième livre de la collection Yiddish mini-bilingue que je lis, cette fois ci écrit par Moyshe Nadir (משה נאַדיר). Né en Galicie, Moyshe Nadir émigre à New-York à 13 ans, en 1898. Journaliste pour la presse yiddish newyorkaise, notamment la presse communiste, il écrivit aussi des pièces de théâtre et de la poésie. Ma première histoire d’amour est une grande nouvelle écrite à la première personne contant comment tous les élèves du kheyder d’un shtetl tombèrent éperdument amoureux de la fille d’un notable.

Ce qui m’a frappé dans cette nouvelle, c’est son contexte. Au moment où il l’écrit, Moyshe Nadir est newyorkais et communiste (et même antisioniste). Il est entré résolument dans la modernité et écrit des articles cinglants dans des journaux communistes. Quand il décrit un jeune garçon timide, suivant une éducation religieuse traditionnelle en Europe, habillé de manière traditionnelle, jurant sur ses tsitsit, il décrit une personne complètement opposée à celle qu’il est devenu.

S’il y a une certaine forme de nostalgie, de bienveillance dans ce texte, il décrit cependant un monde vers lequel il ne retournera jamais, et qui sans doute pour lui était un monde qui appartenait au passé. Ce qui est étonnant aujourd’hui, c’est que plus de 70 ans après sa mort, la modernité dans laquelle il s’était fixé, le communisme, tend à disparaître et que les courants traditionalistes des religions ont eux perduré et se développent aujourd’hui très bien. C’est le cas pour l’orthodoxie et l’ultra-orthodoxie juive qui sont en excellente santé. Son roman pourrait être adapté avec très peu de modifications dans les quartiers ultra-orthodoxes de New-York ou d’Israël. On passerait surtout d’un environnement rural à un environnement urbain et il y aurait peut-être un peu moins de neige si cela se passait en Israël.

J’ai remarqué dans mes pérégrinations yiddish ou hébraïque moderne que j’avais une certaine affection pour les bundistes, les juifs communistes, les sionistes travaillistes. Tous ces Juifs du XIXe siècle et du premier XXe siècle ont mené une révolution culturelle, une entrée spécifiquement juive dans la modernité. Par la suite, du côté yiddish ils ont été majoritairement assimilés, purgés, génocidés. Du côté hébraïque moderne, les religieux orthodoxes et ultra-orthodoxes ont aujourd’hui beaucoup plus de poids dans la politique israélienne que les sionistes travaillistes qui ont fondé le pays, bientôt relégués aux oubliettes. Quelle ironie. Cela me fit lire ce livre avec une certaine amertume dans la bouche.

La traduction d’Évelyne Grumberg est fidèle et de bonne facture, je regrette comme d’habitude certaines réécritures qui enlèvent un peu de sel. Ainsi quelqu’un qui parle « moitié yiddish, moitié goyish » en version originale parle « moitié yiddish, moitié ukrainien » dans la traduction. Le yiddish est lui très ardu. Les phrases sont longues, pleines de relatives, d’incises, de coordination… Le mal de tête est garanti pour le jeune yiddishisant (ou pour les gens qui comme moi ont simplement du mal avec les phrases qui semblent ne jamais se terminer). Cela me fit prendre conscience que je devais travailler mon yiddish plus régulièrement, on se grippe trop vite ! Bon, bon, il me reste deux mini-bilingue dans cette collection pour m’aguerrir ! Et j’ai piqué des DVD de cinéma Yiddish à une amie.

Pour se procurer ce livre délicieux, vous pouvez vous rendre à la maison de la culture yiddish, ou le commander.

Publié par

Nicolas Legrand

J'aime beaucoup la clarinette, l'hébreu et le jdr. Parfois, je fais de l'informatique en bibliothèque.

Une réflexion sur “Moyshe Nadir — Ma première histoire d’amour”

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