Yishai Sarid — Victorieuse (2020)

« Cette fois nous allons jusqu’au bout, pas juste depuis les airs, pas juste depuis sur la mer, mais aussi sur terre – de grandes forces vont envahir le territoire pour  conquérir et vaincre. »

Yishai Sarid, Victorieuse (מנצחת, non traduit), Am Oved, 2020, p. 179.

Victorieuse (מנצחת, non traduit) est un roman très étrange de Yishai Sarid. Il parle d’Avigael, une psychologue de l’armée dont le travail est de sélectionner et former les soldats pour que ces derniers puissent tuer sans hésiter et sans subir de traumatisme après coup. Mère célibataire dont l’enfant est le fils caché du chef de l’État major, elle dispense ses formations, séduisant les militaires, conseille le chef d’État major, s’occupe de son père mourant, d’un de ses patients atteint de stress post-traumatique et encourage son fils à devenir soldat.

C’est le dernier roman que j’ai lu en hébreu il y a environ trois ans. Je n’avais pas écrit dessus à l’époque parce que je l’avais trouvé trop étrange, trop malsain et pas si réussi que ça. Mais ce roman continue de me hanter avec la guerre en Ukraine et d’autant plus maintenant avec la guerre dans la bande de Gaza.

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Jane Bordeaux — Pas seuls (2023)


Je suis médusé, pétrifié depuis le 7 octobre 2023. Je n’aurais jamais osé imaginer cela dans mes pires cauchemars. C’est à un point que j’ai peu abordé le sujet, j’en ai peu parlé, je l’ai peu commenté. Je subis les nouvelles, chaque jour plus insoutenables.
Je me suis remis à beaucoup écouter Jane Bordeaux. Cela me fait du bien. Doron Talmon, la chanteuse, a écrit et composé une chanson pour parler de ce jour terrible. C’est une très belle chanson. Je vous en propose ici une traduction. Je ne pense pas avoir déjà lu des paroles de Talmon aussi viscérales que celles-ci. C’est un condensé d’israélité plein de chagrin et d’espoir. Et je n’aurais pas la force de commenter plus. Écoutez, lisez.

העץ שבגינה שלנו לא שרד
נשרף כולו בבוקר מקולל אחד
והגינה עומדת יתומה
ולא נותר מי שישקה בה את האדמה 
L’arbre dans notre jardin n’a pas survécu,
Brûlé entièrement en un matin maudit,
Et le jardin est orphelin,
Et il ne reste plus personne pour arroser sa terre
ומי ישיר בטקס בקיבוץ
ומי ירקוד במעגל על הבמה בחוץ
מי יקשט טרקטורים ועגלות
ומי יקצור את החיטה שבשדות 
Mais qui chantera à la cérémonie au Kibboutz?
Et qui dansera en rond sur la scène dehors ?
Qui décorera les tracteurs et les remorques ?
Et qui moissonnera le blé des champs ?
(ref)
נושיט כולנו יד אנחנו לא לבד
שותפי גורל כאב ואהבה כעם אחד
נבכה ונתגבר כמו אז לא נישבר
יש לנו רק אחד את השני ולא יותר
(ולא צריך יותר)
(ref)
Donnons-nous tous la main, nous ne sommes pas seuls,
Partenaires d’un destin de douleur et d’amour comme un seul peuple,
Nous pleurerons et nous surmonterons cela comme avant, Nous ne nous briserons pas,
Nous n’avons que l’un pour l’autre et pas plus
(Mais nous n’avons pas besoin de plus)
שורשי העץ נאחזים בלב האדמה
ישובו לעלות לצמוח עם המנגינה
ניגון עתיק של נחמה וצחוק הילדים
אנחנו בית לעצמנו סוף לנדודים
Les racines de l’arbre tiennent bon au cœur de la terre,
À nouveau elles grandiront et pousseront avec cette mélodie,
Un air ancien fait de réconfort et de rires d’enfants,
Nous sommes un foyer pour nous-même, fini l’errance
(ref)(ref)
נזכור את הפרחים כל מי שנקטפו
יפי התואר מלאכים בדגל נעטפו
ומי שעוד לא שב נהיה לו מגדלור
נדליק פה אור גדול עד שאלינו יחזור 
Nous nous souviendrons de toutes les fleurs cueillies,
De la beauté des anges enveloppés dans le drapeau,
Et pour celui qui n’est pas encore revenu nous serons un phare,
Nous allumerons ici une grande lumière jusqu’à ce qu’il nous revienne.
(ref)(ref)

Shmulik Maoz — Foxtrot (2017)

Foxtrot est un film avec Lior Ashkenazi et Sarah Adner. Normalement, ce sont des raisons suffisantes pour aller voir un film. Je ne connaissais pas Shmulik Maoz en revanche, je savais juste qu’il avait fait deux films et que les deux ont été primés à la Mostra de Venise. Curieusement en le regardant, j’ai eu la délicieuse impression de regarder un film italien des années 1970, un film qui se prend la tête sur le cadrage et la photo, un film où l’image se met à avoir un poids et maintient en alerte. Maintenant, Shmulik Maoz sera aussi une raison suffisante pour moi de voir un film.

C’est plus compliqué en revanche de vous dire de quoi ce film parle. Pas tant pour éviter les spoïlerim que parce qu’on a déjà tant parlé de ce film à cause du foin que Miri Regev, l’ancienne ministre de la culture, fit dessus. Je vous dirai donc deux mots sur le film et deux mots sur Miri Regev.

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Rutu Modan — Tunnels (2020)

La couverture de la bédé « Tunnels » de Rutu Modan

Quand on parle de « tunnels » en Israël, on peut penser à deux choses. D’abord les tunnels palestiniens, en particulier sous les frontières de la bande de Gaza. Ces derniers servent à éviter les contrôles israéliens et servent à la contrebande et au déplacement des factions armées palestiniennes. Complètement sous-évalués pendant longtemps, leur nombre et le danger qu’ils représentent ont sauté à la face de Tsahal et de tous les Israéliens durant la guerre de 2014. Il y a aussi les tunnels creusés par les colons israéliens, en particulier ceux financés par la fondation Ir David, dont le but principal est de trouver des preuves archéologiques de présence juive afin d’appuyer la colonisation de Jérusalem Est. Beaucoup de ces fouilles se situent dans la ville de David, un site archéologique exceptionnel. Mais de fait, ils creusent sous les maisons du quartier palestinien actuel de Silwan, menaçant les habitations d’effondrement.

Alors quand une bédé de Rutu Modan s’appelle « Tunnels » (מנהרות, Minharot), forcément, moi, ça m’excite tout de suite. Je craquai ne lisant que les premières lignes de la critique élogieuse de Haaretz. Il fallait que je lise Tunnels de Rutu Modan. Tout de suite, j’écrivis à la chargée de presse de Keter, l’éditeur, pour lui demander un volume. Je reçus un message automatique : elle était confinée, en congés sans solde. Merde c’est vrai, tout le pays est confiné, et ça a l’air bien plus raide qu’en France… J’allais sur Simania, le marchand de livres par lequel je passe d’ordinaire, mais il ne le vendait pas. J’essayai Steymatsky et pour la première fois, la chaîne israélienne proposait des livraisons en France ! Je commandai ! Quelques jours plus tard, le confinement était annoncé en France et les frontières s’apprêtaient à se fermer. Le même jour, Steymatsky m’annonça qu’ils avaient envoyé le livre. Enfer. Trouverait-t-il un avion à temps ? Passerait-t-il la frontière ? OUI ! MIRACLE ! Hallelu et hamazal ! Le premier lundi du confinement, il était dans ma boîte aux lettres. Je l’ai dévoré et je n’ai pas été déçu ! Le titre renvoie bien à ce à quoi on peut penser quand on parle de « tunnel » en Israël ou en Palestine.

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Tel Aviv on Fire (2019)

On m’avait chaleureusement conseillé Tel Aviv on Fire de Sameh Zoabi. La présence seule de Yaniv Biton, un des acteurs des Juifs arrivent, suffisait à justifier le visionnage. Tel Aviv on Fire est un film relatant le tournage d’une série palestinienne du même nom. Dans cette série, une espionne palestinienne séduit un général de Tsahal peu de temps avant la guerre des Six jours. Sa mission est compromise quand elle tombe amoureuse du général, alors même qu’elle est déjà amoureuse d’un résistant palestinien… La série est particulièrement kitsch. Ce n’est pas au point de la parodie québécoise le cœur a ses raisons, mais c’est à peu près l’idée : décors moches, intrigue lourde et mal menée , acteurs qui surjouent. Le héros, Salam (Kais Nashif), vient d’être engagé pour vérifier les dialogues en hébreu de la série. Il habite à Jérusalem et se rend tous les jours à Ramallah pour suivre le tournage. Sur le chemin, il passe par un poste frontière de l’armée israélienne. Le poste frontière est tenu par Assi, un petit officier un peu aigre dont la femme est fan de Tel Aviv on Fire. Lors d’un contrôle Salam lui fait croire qu’il est le scénariste de la série, Assi va alors abuser de son pouvoir pour influencer la série.

Un mot : génial. Un autre mot ? Drôle. Drôle comment ? Très drôle. Pour tout vous dire, la comédie israélienne de base, c’est assez pouaite pouaite ou vulgos. Un peu comme la comédie française de base, mais avec plus de houmous. Prenez Falafel Atomi par exemple, c’est rigolo en buvant de la bière, mais vous n’y reviendrez pas. Tel Aviv on Fire, je le reverrai avec plaisir, c’est très fin, c’est bien fait. Le personnage de Salam en particulier est passionnant. Il apparaît au début comme un raté mou qui cherche à se valoriser en mentant. Il va de péripétie en péripétie, de joie en déception en accueillant tout avec la même expression flegmatique. Il éclipse complètement Yaniv, mon chouchou ! Les dialogues de Salam et Assi, passant de l’arabe à l’hébreu sont excellents. Et finalement est-ce un film israélien ou un film palestinien ? C’est fait par des citoyens israéliens, cependant la culture palestinienne est celle qui ressort le plus.

J’ai du mal à dire si c’est un film politique ou pas, parce que la politique, le conflit sont au centre de tout, mais en même temps… Ho… Il ne faudrait pas que je vous raconte le film. Allez le voir, vous ne serez pas déçu.

Le Dibbouk (1937)

J’ai piqué un coffret de DVD de films yiddish à une amie. Dedans il y avait le Dibbouk (der dibek, דער דיבוק), que j’avais très envie de voir. Notamment parce que j’en avais entendu parler dans la méthode Assimil pour apprendre le yiddish. Fait amusant, tout le monde prononce dibbouk « Dibbouk » dans le film, comme en hébreu moderne, mais en yiddish normalisé par le YIVO, et de ce fait dans la méthode Assimil, le mot hébreu se prononce « Dibek ». Le Dibbouk est un classique du film yiddish, réalisé en Pologne par Michał Waszyński et sorti en 1937. Le film est tiré d’une pièce de théâtre de Shalom Anski, publiée en 1917. D’abord écrite en russe, Anski la traduisit ensuite en yiddish.

Dans le folklore juif, un dibbuk est un esprit qui prend possession d’un corps (la racine dalet, bet, kof, דב”ק, sert aussi à former des mots comme « colle », « coller »). Dans cette histoire, le dibbouk est Hanan, un jeune étudiant pauvre d’une yeshiva. Son père et un autre se promirent de marier leurs enfants alors que ceux-ci n’étaient pas nés. Le père du futur dibbouk mourut au moment de la naissance de son fils. L’autre père, Sender, fit fortune et oublia son ancienne promesse sans même chercher à savoir ce qu’il était advenu de la famille de son ancien ami.

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Liste de lecture israélienne pour le confinement

Quand on a commencé à comprendre que le Covid-19 allait être une grave crise sanitaire qui allait tous nous toucher, j’ai vu fleurir deux chansons dans les canaux de discussions avec mes copains Israéliens. Ces deux chansons, on les voit souvent passer quand il arrive une tuile, un événement désagréable. La première fois que j’ai entendu la première, c’était après l’élection de Trump. Un prof d’hébreu arriva furibard en classe et commença le cours en disant « ne parlons pas de l’élection d’hier », il continua « Nous avons subi Pharaon, nous subirons ça aussi », puis il nous parla de la jolie chanson de Meir Ariel.

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Appel à dons exceptionnel de la maison de la culture yiddish

La crise du COVID-19 nous touche et nous fragilise tous. C’est aussi le cas de la maison de la culture yiddish, un lieu qui emploie cinq personnes pour préserver un trésor inestimable. La plupart des événements étant annulés, l’argent rentre moins et met en danger la paie des employés. La maison de la culture yiddish fait un appel aux dons pour surmonter l’épreuve. Vous pouvez désormais adhérer et faire des dons directement via le web. Cela faisait plus d’un an que je me disais qu’il fallait que j’adhère, c’est maintenant fait, avec un petit don en plus. Et vous ?

http://www.yiddishweb.com/appel-a-dons-exceptionnel/

La maison de la culture yiddish a aussi ouvert un site « la culture yiddish à la maison » pour continuer ses activités durant le confinement. Vous y trouverez entre autre une nouvelle d’Avrom Reyzen que j’adore : le prolétaire, דער פּראָלעטאַריער. Je vous invite à la lire !

Acheter le dernier Etgar Keret en yiddish

Oui, je sais, j’ai dit que le blog était fini, mais mettons que là c’est un cas de force majeure. Etgar Keret a gagné le prix Sapir l’année dernière pour תקלה בקצה הגלקסיה, un problème à l’extrémité de la galaxie. Le prix Sapir apporte de l’argent à l’auteur, paie la traduction de l’œuvre vers l’arabe et vers une langue au choix du lecteur. Or Etgar Keret est déjà traduit dans plus de quarante langues. Quel langue pouvait-il bien choisir ? Hé bien il a choisi… Le YIDDISH !!! Et voici donc שטערונג אויפֿן ראַנד פֿון דער גאַלאַקסיע, shterung oyfn rand fun der galaksye.

Et aujourd’hui vous pouvez acheter ce livre de littérature contemporaine traduit vers le yiddish via la maison Leyvik, un centre de culture yiddish à Tel-Aviv. Le livre coûte 89 ₪ et les frais de port vers l’Europe sont de 60 ₪. Vous pouvez le commander ici.

Vous pouvez aussi regarder quelques photos réjouissantes d’une lecture publique de l’œuvre en présence de l’auteur, à la maison Leyvik.

Bon allez, et comme je suis de passage, je vous recommande l’album de cold wave des Zeévot (les Louves) qui vient de sortir aujourd’hui !

Fin de la route

Ceci est le dernier billet de ce blog, il est temps de tirer la révérence et de vous dire au revoir ! Merci de m’avoir lu et suivi jusque là, merci pour les mots gentils et encourageants ! Mais cette fois-ci, sans aucun doute, c’est la dernière fois.


Je passe mes journées à travailler devant un écran d’ordinateur et cela devient de plus en plus une punition pour moi d’être collé à cet appareil. J’ai de moins en moins d’énergie le soir pour me remettre devant et taper sur un clavier. En fait, je réfléchis même à trouver un nouveau travail où l’on est moins devant un ordinateur. Je vais continuer à lire, écouter de la musique en hébreu ou en yiddish, mon intérêt pour ces langues a encore de beaux jours devant lui.


Mais voilà, je n’en parlerai plus ici. Enfin bref, merci de m’avoir lu ! Yallah bye !